Lorsqu’ils acquièrent des entreprises en France, les investisseurs allemands doivent prendre en compte une série de considérations d’ordre fiscal, économique et juridique lors de l’évaluation de l’entreprise cible. Cela est notamment le cas lors de l’interprétation des chiffres financiers car les méthodes comptables et d’évaluation appliquées en France divergent en partie des normes comptables en vigueur en Allemagne.
En France, comme dans tous les États membres de l’UE, les entreprises cotées en bourse sont tenues d’appliquer les normes d’information financière IFRS lors de l’établissement d’états financiers consolidés. Contrairement à la comptabilité allemande basée sur le code de commerce allemand (HGB), la France a repris de nombreuses règles comptables déduites des normes IFRS dans le droit français relatif au bilan commercial. Nous citerons par exemple les principes comptables pour l’inscription des immobilisations incorporelles à l’actif du bilan, l’application de « l’approche par composant » (component approach) lors de l’inscription au bilan d’immobilisations corporelles ou encore les normes comptables applicables aux provisions.
Ces différences existant au niveau des méthodes comptables et d’évaluation sont régulièrement la raison pour laquelle les ratios de résultat et de rentabilité d’entreprises françaises ne sont pas directement comparables aux ratios déterminés sur la base des règles allemandes.
En France, les comptes annuels sont présentés selon un cadre unique pour toutes les entreprises et très formalisé, appelé « plan général comptable » et abrégé « PCG ». Ce cadre comptable unique permet ainsi de garantir la comparabilité des comptes annuels des entreprises les plus diverses. Le compte de résultat est analogue à la méthode allemande des charges par nature, mais prévoit, à l’opposé de la nouvelle comptabilité allemande, que soit explicitement affiché le résultat exceptionnel. À la différence du résultat exceptionnel, le résultat d’exploitation est déduit du compte de résultat et également ouvertement affiché. Sur la base de la compréhension que l’on en fait en France, ce « résultat d’exploitation » correspond à un résultat opérationnel corrigé des charges et produits exceptionnels. Sous l’angle des investisseurs, ce résultat ne peut être pris en compte que sous certaines réserves comme indicateur d’un EBIT (bénéfice avant intérêts et impôts). Certains faits dans la comptabilité française sont fondamentalement représentés de manière différente des règles allemandes relatives au droit commercial. Il en découle également des différences lors de la détermination de l’EBIT.
Les paragraphes suivants esquissent certains aspects des règles comptables divergentes et décrivent leur pertinence quant à la détermination d’un résultat opérationnel significatif (EBIT).
(1) Inscription au bilan et évaluation du « fonds de commerce »
Le « fonds de commerce » au sens des règles comptables françaises est, au sens large du terme, un actif sui generis, similaire au goodwill selon le droit commercial allemand. Selon les règles comptables françaises, le « fonds de commerce » doit être porté à l’actif aux coûts d’acquisition. Contrairement aux règles allemandes, il n’est pas effectué d’amortissement annuel prévu. Un amortissement sur le montant porté à l’actif ne doit être effectué qu’en cas de dépréciation constatée dans le cadre d’un test d’impairment (ou test de dépréciation). Si la valeur ne change pas, cela ne pèse pas sur le résultat opérationnel.
En revanche, selon les dispositions du droit commercial allemand, un goodwill acquis à titre onéreux doit être porté à l’actif aux coûts d’acquisition et amorti régulièrement sur une durée d’utilisation classique supposée de 10 ans. L’amortissement annuel réduit l’EBIT en conséquence.
(2) Droit d’opter pour l’application de l’approche par composant dans l’inscription au bilan et l’évaluation d’actifs immobilisés
La comptabilité française étant dans certains cas très fortement axée sur les normes IFRS, les entreprises françaises ont la possibilité d’opter pour l’application de l’approche dite par composant dans le cadre de l’inscription au bilan et de l’évaluation des immobilisations corporelles. L’application de l’approche par composant est considérée comme la méthode comptable privilégiée et implique la décomposition systématique de l’actif physique en différents éléments aux fins d’évaluation comptable et l’actualisation distincte de leur valeur via des plans d’amortissement différenciés. Selon les règles du code de commerce allemand (HGB), l’approche par composant n’est pas autorisée. Il en résulte donc au niveau de l’inscription au bilan et de l’évaluation des immobilisations corporelles des différences qui ont un impact sur le résultat opérationnel.
(3) Droit d’opter pour l’application de la méthode du pourcentage d’avancement des travaux « Percentage of Completion Method » dans le cadre de l’inscription au bilan et de l’évaluation de contrats de construction à long terme
Selon le droit commercial allemand, la réalisation de bénéfices partiels découlant de contrats de construction à long terme n’est autorisée que dans quelques cas exceptionnels. Dans les comptes annuels français, la réalisation des bénéfices découlant d’un contrat de construction à long terme en fonction de l’avancement du projet « Percentage of Completion Method » est considérée comme la méthode comptable privilégiée. Si l’on compare les périodes comptables, cela peut entraîner des différences sensibles qui impactent le résultat opérationnel respectif.
(4) Inscription au bilan d’engagements au titre des retraites envers des collaborateurs
En France, une obligation légale stipule que les collaborateurs qui prennent leur retraite reçoivent une indemnité légale de départ à la retraite qui est fonction de leur ancienneté et de l’évolution de leur salaire. À propos de l’inscription au bilan de l’engagement – à déterminer sur la base de paramètres actuariels –, les règles comptables françaises ne prévoient pas d’obligation de porter un tel engagement au passif. Une option consiste à ne mentionner l’engagement que dans l’annexe. Lors de l’analyse de comptes annuels français, il convient de toujours vérifier s’il a été fait usage du droit d’option dans l’inscription au bilan et si les charges découlant de l’évaluation des indemnités obligatoires sont dûment prises en compte dans le résultat opérationnel.
(5) Participation des salariés au résultat
En France, les entreprises comptant plus de 50 salariés doivent faire participer leurs collaborateurs au résultat annuel à raison du montant déterminé selon une procédure définie. Le montant de cette participation au résultat est affiché dans le compte de résultat au-dessous de la charge de l’impôt sur les bénéfices et ne figure donc pas dans le résultat opérationnel. Pour pouvoir déterminer un EBIT comparable aux règles comptables allemandes, il est donc nécessaire de reclasser les charges issues de la participation des salariés dans les frais de personnel.
Conclusion
Les exemples cités montrent que des différences sensibles existent dans l’application de règles comptables et d’évaluation spécifiques, notamment entre la France et l’Allemagne, malgré l’harmonisation des règles comptables visée depuis longtemps au sein de l’UE. C’est le cas dans l’analyse de comptes annuels et d’états financiers consolidés, et notamment dans la détermination du résultat et du rendement. Dans les transactions commerciales et lors de la fixation de modèles de prix d’achat dépendant du résultat, il s’impose de veiller strictement dans le cadre du contrat de vente à ce que la définition des paramètres sous-jacents relatifs au résultat se fonde sur une compréhension commune de leur évaluation.
Auteurs : Albrecht Bacher, Menold Bezler
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