En cette période de confinement, le recours au télétravail et la nécessité de continuer à souscrire des engagements contractuels amènent à « (re)découvrir un outil qui pourtant existe depuis longtemps : la signature électronique » fait valoir François-Régis Fabre-Falret. L’avocat associé au sein de LPACGR passe au crible cette technique dans un contexte où « la digitalisation du droit, déjà en marche depuis un certain temps, va encore s’accélérer »…
En ces temps étranges où le monde se confine au gré des injonctions administratives, la plupart des entreprises qui le peuvent se démènent, à distance, pour essayer de poursuivre leur activité : « business as usual ». Mais beaucoup s’interrogent déjà sur l’après confinement et les leçons qui en seront inévitablement tirées.
Dans le domaine du télétravail, une priorité s’est imposée aux entreprises : celle de continuer, malgré la distance, à souscrire des engagements contractuels alors qu’ils n’ont plus la faculté de signer « comme avant » de manière manuscrite les contrats (cette nécessité ne concerne, d’ailleurs, pas seulement les engagements contractuels, mais également ceux de la vie interne des entreprises comme les procès-verbaux des différents comités internes ou conseils…).
Et tout d’un coup de (re)découvrir un outil qui pourtant existe depuis longtemps : la signature électronique !
Une fois n’est pas coutume, le droit n’est pas en retard et la pandémie qui nous frappe permet de (re)mettre au centre de la vie des affaires cet outil qui n’était pas complètement encore entré dans les moeurs.
Un outil qui date du début des années 2000
Pourtant, la signature électronique a fait son apparition dans notre Code Civil au début des années 2000 (anciennement article 1316-4 du Code Civil abrogé et remplacé par l’article 1367 du Code Civil – Ordonnance N° 2016-131 du 10 février 2016) et les tribunaux se sont prononcés pour la première fois en 2011 (voir notamment TI Epinal, 12 décembre 2011). La Cour de Cassation a elle-même rendu son premier arrêt en 2016 au terme duquel elle reconnaît la validité d’une signature électronique (Cass. 1ère civ., 6 avril 2016).
Bien évidemment, ce qui est en cause, au-delà des habitudes tenaces de travail, c’est bien la confiance accordée au procédé électronique.
Que nous dit le nouvel article 1367 du Code Civil ? Qu’une signature électronique « consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache. La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu’à preuve du contraire, lorsque la signature électronique est créée, l’identité du signataire assurée et l’intégrité de l’acte garantie (…) ».
Concernant le « procédé fiable », c’est le règlement européen dit règlement eIDAS (EU) n° 910/2014 du 23 juillet 2014 qui a permis d’établir un environnement technique cohérent, fiable et reconnu par tous.
Deux niveaux de fiabilité
Ce règlement a identifié deux niveaux de fiabilité différents :
- la signature dite « qualifiée » (SEQ) et
- la signature dite « avancée » (SEA).
Seule la signature dite « qualifiée » bénéficie de la présomption de fiabilité mentionnée à l’article 1367 du Code Civil.
Deux précisions sont, à cet instant, nécessaires :
- la présomption de fiabilité est une présomption dite réfragable, c’est-à-dire « jusqu’à preuve du contraire » et
- le fait de ne pas bénéficier de la présomption ne remet nullement en cause la validité ou la preuve de la signature électronique dès lors qu’elle remplit les critères techniques imposés par le règlement eIDAS.
Cette présomption renverse juste la charge de la preuve.
Sans rentrer dans les détails de ce que représente techniquement le « procédé fiable » décrit dans le règlement eIDAS, il convient de rappeler que :
la signature « avancée » doit satisfaire les critères suivants :
- être liée au signataire de manière univoque ;
- permettre d’identifier le signataire ;
- avoir été créée à l’aide de données de création de signature électronique que le signataire peut, avec un niveau de confiance élevé, utiliser sous son contrôle exclusif et
- être liée aux données associées à cette signature de telle sorte que toute modification ultérieure des données soit détectable.
En pratique, ces exigences sont respectées en combinant l’envoi d’un code sur mobile (par nature unique et temporaire) et le mot de passe de la boite mail avec un autre facteur permettant d’établir avec certitude l’identité du signataire, comme par exemple une vérification automatisée de pièce d’identité.
La signature « qualifiée » correspond juridiquement à une signature « Avancée » avec des exigences techniques renforcées et requiert la délivrance d’un certificat à la suite d’une vérification de l’identité du signataire en face-à-face (par rendezvous physique ou visio-conférence). La signature « Qualifiée » n’est cependant pas adaptée à toutes les situations.
Si l’on se place du point de vue de l’utilisateur dans le cadre d’opérations transactionnelles, la nécessité d’une vérification de l’identité du signataire en face à face réduit largement l’intérêt de recourir à ce type de procédé. Car, bien souvent, le ou les signataires habituels ne sont pas immédiatement disponibles, le recours à la signature électronique étant alors une solution rapide et efficace.
En revanche, la signature « Qualifiée » aura tout son intérêt pour les actes de gestion courante devant être signés par les représentants légaux de l’entreprise (ou bénéficiant de délégation de pouvoir). Une fois mise en place, il ne sera plus nécessaire d’organiser cette vérification en face-à-face à chaque fois et le signataire concerné pourra, au moment ou il le souhaite, procéder à la signature.
Aujourd’hui, le règlement eIDAS constitue le pilier de la sécurité juridique d’une signature électronique. Il est très largement à même de fournir la confiance « numérique » à ceux qui ont pu douter du procédé.
Pratiquement tous les actes de la vie des affaires sont concernés…
Reste à savoir si tous les documents peuvent être signés électroniquement.
Sur ce point encore, notre Code Civil a été adapté.
L’article 1174 du Code Civil dispose que : « lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un contrat, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1366 et 1367 et, lorsqu’un acte authentique est requis, au deuxième alinéa de l’article 1369.
Lorsqu’est exigée une mention écrite de la main même de celui qui s’oblige, ce dernier peut l’apposer sous forme électronique si les conditions de cette apposition sont de nature à garantir qu’elle ne peut être effectuée que par lui-même ».
C’est donc pratiquement tous les actes de la vie des affaires qui sont concernés, le législateur ayant considéré que, dès lors que le support électronique est établi et conservé dans les conditions que nous avons évoquées plus haut, alors le document électronique est valable.
Peu importe finalement le support : papier ou électronique sont juridiquement équivalents.
Il existe, cependant, quelques exceptions décrites à l’article 1175 du Code Civil qui répertorient les actes insusceptibles d’être conclus ou conservés de manière électronique :
« (…) 1° Les actes sous signature privée relatifs au droit de la famille et des successions, sauf les conventions sous signature privée contresignées par avocats en présence des parties et déposées au rang des minutes d’un notaire selon les modalités prévues aux articles 229-1 à 229-4 ou à l’article 298 ;
2° Les actes sous signature privée relatifs à des sûretés personnelles ou réelles, de nature civile ou commerciale, sauf s’ils sont passés par une personne pour les besoins de sa profession ».
Nul doute que la fin du confinement verra de nouvelles pratiques de travail s’installer.
L’usage de la signature électronique sera très certainement l’un des outils qui devrait, d’une part, bénéficier d’un véritable engouement et, d’autre part, créer des habitudes acquises dont certains ne pourront plus vraiment se passer à l’avenir.
La digitalisation du droit, déjà en marche depuis un certain temps, va encore s’accélérer…
Auteur : LPA-CGR Avocats
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